Les fusillés du Mur à Valréas, devaient-être incinérés !

Lettre adressée à Émile Bouchet, résistant, Fusillé-rescapé
Paris le 5/10/50
Mon cher Bouchet,
J'ai reçu ce matin votre lettre, retransmise de Marseille et je m'empresse d'y répondre et en même temps de venir vous remercier de bien vouloir vous occuper de moi – Avec Joseph Coutton vous êtes un petit peu mes deuxièmes fils, puisque j'ai pu par ma modeste intervention, contribuer à vous garder cette vie, à laquelle on tient tant et qui pourtant vous éprouve atrocement.
Je ne sais si j'aurai pu être assez claire dans mon résumé d'activité, mais je pense que vous pourrez parfaire ces renseignements vous-même. Je tiens pourtant à vous préciser une chose que vous ignorez peut-être car, au moment où cela se passait, vous étiez, hélas, allongé le long de ce mur d'horreur dont le souvenir ne pourra jamais s'effacer en moi.
Après vous avoir fusillés sous mes yeux – J'étais en effet devant l'hôtel où les allemands avaient établi leur P.C. À ce moment là, je reçu l'ordre d'un officier allemand de monter à la Mairie prévenir que l'on interdise à la population de descendre en direction du lieu d'exécution. Montant donc vers la place de la Mairie, j'ai rencontré Mr l'abbé Gertoux à qui je demandais de descendre et de demander l'autorisation de bénir tous ces pauvres corps torturés. Redescendant au P.C. Allemand, monsieur l'abbé vient à moi le visage défait, me disant que quelques uns parmi vous remuaient encore et de faire quelque chose. J'ai alors parcouru la longue file de ces 44 corps allongés et n'ai pu constater la chose.
Je suis revenue vers les allemands et ai entrepris de discuter avec un grand lieutenant qui parlait asse bien le français. J'appris alors, ce que beaucoup de Valréassiens n'ont jamais su , les corps devaient être ramassés sur des camions amenés exprès par les allemands,menés en campagne et incinérés. Je ne peu vous dire ici toutes mes pensées, toutes mes angoisses. J'ai entrepris alors une lutte d'adresse et de mensonges qui a duré prés de deux heures. La chance m'a favorisé car ce lieutenant allemand était un frontalier, voisin de Belfort où j'habitais avant la guerre. Connaissant bien le régiment 188e d'artillerie où mon mari était capitaine.
Donc, après avoir étendu la conversation, mêlée de revendication concernant nos fusillés, cet officier a été trouvé le commandant, a discuté avec lui, puis m'a dit en souriant « Vous êtes têtue, mais aussi vous êtes brave et nous vous laissons les corps dont vous serez responsable ». J'ai accepté avec joie. Ils sont partis, vous connaissez le reste.
Un témoin a assisté de loin à ce que je vous raconte, c'est un pompier, habitant là, dont je ne connais pas le nom, mais que vous reconnaîtrez peut-être car il a eu une main coupée par une machine à scier le bois.
Je tenais à vous dire cette petite phrase de mon intervention du 12 juin 1944, car à mon avis c'était la plus importante. Je ne l'ai jamais beaucoup racontée car à Valréas, je sais qu'étant étrangère au pays on ne m'a jamais compté au nombre des personnes dignes d'une reconnaissance...
Je vais vous éclairer en vous contant ceci , vous serez trouver les noms. En Autriche avec mon mari en 1946, nous avions parmi nous à l’État Major d'Innsbrück un Commandant chargé de la recherche des criminels de guerre – rescapé de Dachau et de Buchenwald. Le Commandant voulait absolument me faire obtenir la Croix de guerre (car je n'ai jamais sollicité aucune récompense et me demandait pour cela quelques renseignements officiels, c'est à dire consacrés par la Croix Rouge et les notabilités de Valréas. J'ai alors écrie à Madame la Présidente de la Croix Rouge de Valréas... je n'ai jamais eu de réponse.Découragée, je n'ai plus rien tenté et j'étais décidé à continuer, si des événements nouveaux ne me contraignaient à chercher une situation afin de pouvoir permetre à mon fils de terminer ses études.
Je tiens donc à vous remercier à nouveau de ce que vous pourrez faire pour moi.... Je puis pourtant vous dire tout de suite que celle qui doit en premier être citée et récompensée, hélas à titre posthume est la dévouée et courageuse Mireille Montabaranom (je ne connais pas son nom de dame). …
Je vous prie de croire....
Signé Jeannine TALMON