Notre association tient à remercier Tiffany Davin pour ce remarquable travail de 17 pages en cette année du 80ème anniversaire de la commémoration du 12 juin 1944.
Extrait : Dossier anthropologique de la mémoire – Master Tiffany Davin
Le 12 juin 1944 est un événement marqueur de l’histoire de la ville de Valréas. Cette ville de l’Enclave des Papes, existe depuis 706 ans, cependant c’est cette date-là que retient chaque Valréassiens et Valréassiennes. Cinquante-trois otages composés de résistants et de civils avaient été fusillés par des troupes allemandes en représailles à la libération temporaire de la ville quelques jours plus tôt.
Ce sujet a été choisi pour différentes raisons, d’une part il m’interpellait car je suis native de la ville de Valréas et cette histoire, racontée aux enfants Valréassiens dès l’école primaire par des rescapés des événements du 12 juin 1944, m’avait été exposée. Une année, un voyage sur la montagne de la Lance où étaient cachés autrefois des maquisards avait été aussi organisé et m’avait particulièrement touché. D’autre part, les espaces commémoratifs m’ont toujours intriguée.(…) Toutefois, ce premier travail d’anthropologie est à lire avec un esprit ouvert car c’est une formation nouvelle pour ma part. Je suis, en effet, titulaire d’une licence Histoire de l’art et archéologie et j’ai débuté un master d’Histoire, Civilisation et Patrimoine dans un parcours Histoire de l’art, patrimoine et musées.(…)
Cette étude a été menée avec une approche tant indirecte que directe, en allant à la fois à la rencontre des Valréassiens de manière informelle, mais aussi avec l’organisation d’un entretien avec le président de l’association des Familles de Fusillés, Michel Reboul. L’enquête tente de déterminer si aujourd’hui les habitants de Valréas se rappellent l’événement en cherchant d’une part s’ils sont intéressés de l’idée de se remémorer, et d’autre part d’interroger l’enjeu actuel des monuments commémoratifs érigés dans la ville et ainsi la pertinence, ou non, de leur fonction de lieu de mémoire du 12 juin 1944. (…) L’étude se recentre ensuite sur le présent en examinant l’état de la mémoire du 12 juin 1944 et l’usage des monuments commémoratifs par les Valréassiens.
Chaque 12 juin depuis maintenant soixante-dix-neuf ans, à Valréas, une petite ville située au nord du Vaucluse, dans l’Enclave des Papes, se déroule une cérémonie commémorative pour les victimes de la ville. Lors de ce regroupement, les habitants de la ville et des communes voisines déambulent les rues en retraçant le chemin pris par les cinquante-trois hommes amenés à la mort par des membres de l’armée allemande.(…)
Depuis cet événement qui a touché la commune de Valréas, chaque année une cérémonie est organisée à la même date. Toute la population de Valréas et de ses communes voisines y est conviée. (…)
L’état de la connaissance de l’événement par les Valréassiens.
Pour connaître l’état de la mémoire de cet événement auprès des Valréassiens, des entretiens informels ont été organisés le mercredi 25 octobre 2023 au matin, lors du marché hebdomadaire de la ville. Ce lieu a été choisi, car c’est un lieu de rencontre, où de nombreux habitants de tout âge se croisent, contrairement à l’emplacement du Mur des Fusillés qui est en bordure de route et donc moins fréquenté. Pour ces entretiens, trente-trois personnes habitant à Valréas ont été enquêtées et les questions furent les mêmes pour tous . Il fut intéressant d’observer que tout le monde connaissait l’événement du 12 juin 1944, certains plus en détails que d’autres. Les natifs étaient majoritairement ceux qui connaissaient très bien ce jour, tandis que quelques « nouveaux » habitants avaient quelques notions du déroulement de cette date sinistre pour la ville. (…)
La question fut posée quant à la manière dont chacun avait été mis au courant de cet événement. Les principaux moyens de transmission de ce souvenir du 12 juin 1944 sont le bouche à oreille, notamment par le biais de la famille et par l’école. Pour ce dernier cas, pendant longtemps les rescapés et familles de victimes sont intervenus dans les écoles et collèges de Valréas afin de témoigner auprès des enfants. Lors d’un entretien formel avec Monsieur Michel Reboul, le mercredi 6 décembre 2023, ce dernier, neveu du fusillé Alfred Buey, racontait être intervenu à plusieurs reprises dans des classes et évoquait aussi le dévouement dont faisait preuve Monsieur Joseph Coutton, fusillé rescapé, à intervenir de la même manière dans les écoles de Valréas afin de sensibiliser les plus jeunes. Il est toutefois intéressant de voir que soixante-dix-neuf ans plus tard, la mémoire du 12 juin 1944 à Valréas persiste. Le même constat est fait par Monsieur Reboul. Lors de son entretien, il semblait également penser que la mémoire ne s’essoufflait pas, notamment grâce aux témoins. Monsieur Reboul est le président de l’association des Familles de Fusillés de Valréas et possède un blog dans lequel il met en ligne des articles, des témoignages, des photos concernant le 12 juin 1944, mais aussi parfois et plus largement, des événements divers sur la Seconde Guerre mondiale, les réseaux sociaux sont un nouveau et très bon moyen de rendre l’information accessible. (…)
Pour une ville d’environ neuf mille habitants, un décalage s’observe entre les deux, afin d’avoir une vision bien objective, il aurait été préférable peut-être d’interroger davantage de Valréassiens de manière informelle. Il est toutefois intéressant de voir que, d’après les propos de Monsieur Michel Reboul, le nombre de participants à la cérémonie ne diminue et n’augmente pas, il y a donc une constante dans la contribution des Valréassiens à l’hommage rendu aux fusillés du 12 juin 1944. Néanmoins, un regret que le président de l’association a déclaré relève de la présence des élus10 . Durant le 75e anniversaire du 12 juin 1944, cérémonie en jumelage avec la commune de Taulignan, qui pour rappel avait connu le même jour un drame quelque peu similaire, Michel Reboul et Patrick Adrien ont remarqué que de nombreux élus de la Drôme et de la région Auvergne-Rhône-Alpes étaient présents tandis qu’aucun ne venait du Vaucluse ou de la Provence[1]Alpes-Côte d’Azur. Ce constat a entraîné l’envoi d’invitations pour la cérémonie du 80e anniversaire du 12 juin 1944 qui aura lieu en 2024, à ces élus par le président de l’association des Familles de Fusillés. Quelques-uns ont déjà répondu qu’ils feraient leur possible pour être présents.(…)
Ce souvenir encore très présent est par chance soutenu par les différents maires qui se sont succédé, c’est ce qu’affirmait Michel Reboul lors de son entretien. Étant président de l’association des Familles de Fusillés, il a confié que la collaboration avec les maires a toujours été bonne.
Toutefois, deux événements liés et très récents ont suscité chez Monsieur Reboul et des membres de l’association de la colère. D’abord, le Maire actuel de Valréas, Patrick Adrien, a fait savoir à ces derniers que les plaques installées dans la galerie de l’Hôtel de ville allaient être retirées et sûrement déplacées au mausolée ( ?). Michel Reboul explique la situation et la raison du maire pour faire cela : « Il voulait déplacer les plaques, les mettre dans un autre lieu pour magnifier le château, faire autrement que ce qui est actuellement l’Hôtel de ville, pour en faire un château.(…)
C’est néanmoins la première fois que cette situation de volonté de déplacer des constructions commémoratives se produit depuis l’érection de tous les monuments de la ville. Il apparaît que ce cas particulier a lieu pour des raisons politiques, dans une perspective d’accroissement de l’aspect touristique de la ville et principalement du château de Simiane et soulève également des points économiques. Le château de Simiane étant un édifice du XVIIe siècle, la municipalité a l’air de vouloir effacer tout ce qui serait anachronique, et par conséquent les plaques en mémoire des victimes du 12 juin 1944, afin de créer une atmosphère correspondant à cette époque. Cet acte effacerait la raison principale pour laquelle ces plaques ont été installées à cet endroit précis.(…)
Conclusion. Il est clair que les événements du 12 juin 1944 ont marqué les esprits de la ville et que cette mémoire est encore vive. Le récit fait par les témoins et fusillés rescapés tout comme la cérémonie annuelle. font perdurer le souvenir.
Grâce à des entretiens informels ainsi qu’une enquête formelle auprès de Monsieur Michel Reboul, il devient distinct qu’une importante partie des habitants de Valréas se souvient et surtout se rappelle l’événement. Ce rappel se manifeste principalement au travers de leur participation à la cérémonie du 12 juin 1944. Il fut intéressant de constater que l’usage des espaces commémoratifs semblaient lentement s’effacer auprès des Valréassiens. Certes, ils sont utilisés lors du rassemblement annuel, néanmoins, en dehors de cet événement ils ne sont pas visités.
Un grand nombre d’enquêtés ne savaient pas citer le nombre approximatif de monuments érigés en mémoire des cinquante-trois otages fusillés. Le fait que la municipalité semble vouloir déplacer ou recouvrir des plaques commémoratives installées dans l’Hôtel de ville, fait perdre à ces objets leur dimension mémorielle.
À Valréas, l’utilisation de ces espaces de mémoire paraît légèrement muter et devenir beaucoup plus occasionnelle. Par cette action, il faut déduire que la mémoire de l’événement du 12 juin 1944, bien qu’elle reste vivante, est peu manifestée par les Valréassiens.